Sylvie Denis

SYLVIE DENIS, LES TARTELETTES AUX MYRTILLES ET LES CHATS

Markus Leicht

 

Sylvie Denis écrit.

Nous pourrions nous arrêter là. Cela donnerait un portrait concis, d’une efficacité exemplaire. Et cela suffirait. Car Sylvie et l’écriture ça fait un.

Donc Sylvie Denis écrit.

Sans doute resteriez-vous sur votre faim, dans l’attente de quelques détails croustillants, affaire de vous titiller un coin du cortex.

Sylvie a toujours écrit. Déjà toute petite, dans les marges de ses cahiers, elle usait ses crayons et ses stylos.

Sauf en 1963. Cette année là elle se contenta de naître et de dormir. Ce qui était déjà beaucoup pour une personne aussi jeune.

Dans les marges de ses cahiers, toujours. Scritch, scritch, scritch. Scritch, scritch, scritch (bruit caractéristique du crayon glissant sur la surface de la feuille quadrillée, semblable à un audacieux patineur s’aventurant sur la glace). Nuit et jour, sauf quand elle dormait ou mangeait des tartelettes aux myrtilles (hum, c’est bon les myrtilles !). Comme Gotlib, sauf que lui il dessinait. Et puis, lui il dormait beaucoup moins et ne s’intéressait pas, à ma connaissance, aux tartelettes aux myrtilles (hum…). Sylvie aussi elle dessinait, ça on le sait moins. Si elle avait persévéré dans cette voie peut-être aurions nous eu un Michelangelo Buonarotti, pour ce siècle. Jamais nous ne saurons quelle grande artiste elle aurait pu être. Misère de nous !

Ainsi va la vie !

Le dessin ne fut d’ailleurs pas la seule voix artistique vers laquelle elle essaya de se tourner puisque l’auteur de ces lignes possède également un collage de ladite Sylvie.

Plutôt que de courir deux lièvres à la fois elle se contenta tout simplement d’écrire. Ce qui n’était pas une mauvaise idée en soi car cela lui laissait plus de temps pour dormir.

Après une adolescence sans histoire du côté de Bordeaux elle crée avec Nathalie Mège le quatuor à deux (sans doute, pour cette raison, qualifia-t-on par la suite le fameux quatuor de duo) des Fraises d’Azur et décide in petto de devenir prof d’anglais. C’est l’époque des grandes amours : Bowie (mais non, pas celui qui n’a rien trouvé de mieux que de mourir d’une pneumonie à Fort Alamo, pour se faire remarquer, l’autre, le chanteur tombé du ciel) et William Gibson, le punk cyber. Quelque temps après l’Education Nationale l’envoie (Sylvie, pas Gibson) préparer son Capes à Lyon, ou elle fait la connaissance de toute une faune interlope que nous mentionnerons à peine (André-François Ruaud, Sylvie Lainé, Dieu et quelques autres du même acabit). A partir de ce moment là sa voie est toute tracée. Elle sera Gibson ou rien. Malheureusement pour elle Gibson est déjà bien installé. Ne pouvant se résoudre à n’être rien notre héroïne décide qu’elle sera Sylvie Denis, et rien d’autre.

C’est dans cette période fort trouble que, pour sauver son âme des turpitudes qui la guette, elle entre dans une secte, le MAML (Mouvement des adorateurs de Markus Leicht).

Tant de péripéties en si peu de temps, c’en est trop pour cette frêle jeune fille dont l’esprit vacille dangereusement. Elle va jusqu’à voir des tartelettes aux myrtilles (hum…) flotter dans l’air.

« Cela commença un lundi, jour de morosité générale et d’inepties radiophonique… »

Elle narre cet épisode crucial de sa vie dans Terminus en gelée, publié dans l’introuvable Runes n°5, en avril 1988. Ce sera son premier texte publié.

Pour dire l’exacte vérité ce n’est pas tout à fait vrai. La demoiselle en question avait déjà édité quelques écrits dans la publication des Fraises d’Azur. Mais personne ou presque ne s’en souvient. L’abus de mescal ayant sans doute fortement aggravé l’état de l’unique neurone (quand ce n’était pas un neurone pour deux ou même pour trois), des rares témoins de cette époque bénie, selon la terminologie usuelle et non un soudain regain de religiosité.

La même année elle obtient le prix Solaris pour L’anniversaire de Caroline (Solaris n°80).

L’air de Lyon ne lui convenant vraiment pas Sylvie s’égarre un temps dans les brumes du Nord ou elle va essayer d’inculquer quelques rudiments de la langue de Shakespeare à nos chères têtes blondes. Bien vite elle découvre que les gamins en question n’ont nul besoin d’apprendre l’anglais pour savoir que « a girl is not a boy » et inversement, ou que My taylor is rich. Suffit de voir sa dégaine, au tailleur en question, pour comprendre qu’il ne crève pas de faim.

La vie fort agitée de cette charmante petite ville de province (Denain, pour ne pas la citer) lui laisse tout le temps désiré pour construire son oeuvre. En 1992 elle lance KWS (Keep Watching the Skies!), un fanzine de critiques de science-fiction dont elle dirigera 10 numéros, avant de passer la main à Pascal J. Thomas.  C’est aussi l’année de parution de ses nouvelles Fonte des glaces et Elisabeth for ever.

A la même époque elle découvre que sa machine à laver n’est autre qu’un vaisseau spatial venu d’une lointaine galaxie et que les extra-terrestres ne sont autres que des chats. Cette révélation fondamentale et les tartes aux myrtilles marqueront dès lors toute son œuvre.

En 1995 elle participe au lancement de la revue Cyberdream, pour laquelle elle réalisera traductions et articles, avant d’occuper le poste de rédactrice en chef.

C’est également en 1995 que son recueil de nouvelles : Jardins virtuels (composé des textes : L'anniversaire de Caroline, Fonte des glaces, In memoriam : Discoveryland, De Dimbour à Lapêtre, Elisabeth forever) sort chez DLM et que les éditions Encrage éditent son anthologie : Century XXI, consacrée aux auteurs de la revue britannique, Interzone.

A défaut de fortune c’est la gloire immédiate. Enfin, presque.

Entre temps elle a abandonnée la bonne ville de Denain pour celle non moins bonne de Cognac.

Dès lors plus rien ne l’arrêtera dans sa marche triomphale vers les plus hautes marches de la Science-Fiction, comme le démontrera cette suite de dates et de repères bibliographiques :

1996 : parution de son premier roman, L'invité de verre, aux éditions DLM. Il s’agit d’une aventure de l’agence Arkham, un univers partagé qui fait penser aux aventures de Bob Morane. Les 2 autres auteurs de cette série seront Francis Valéry et Roland C. Wagner.

Suivra une période fertile en nouvelles :

Hotels, dans Territoires de l'inquiétude 9, éditions Denoël (1996) en collaboration avec Francis Valery

Cap Tchernobyl, dans le numéro 6 de Galaxies (1997)

Une utopie (1997), dans le spécial "1000 jours avant l'an 2000" de Libé.

Magma-plasma (1997), dans Etoiles Vives 1.

En 1998 elle réalise l’anthologie Histoires de cochons et de science-fiction et continue de publier des nouvelles à droite et à gauche à moins que ce ne soit à gauche et à droite (Avant Champollion, Dedans, dehors,  L'assassinat de la maison du Peuple, Ma grand-mère et les extraterrestres…)

En 2000 elle obtient le prix Rosny Aîné pour Dedans, dehors et publie  une nouvelle anthologie : Escales 2001, aux éditions Fleuve Noir.

Suit une nouvelle fournée de nouvelles au délicat parfum de tartelettes aux myrtilles (hum…) : Nirvana, mode d’emploi, Paradigme party, La balade du singe seul, L'aventure de la cité ultime).

2003 voit la parution en Folio SF de Jardins Virtuels, dans une version étendue, très étendue même, qui comprend treize récits. Ses principales nouvelles sont présentes plus, cerise sur la tartelette, une inédite. Univers virtuels, clonages, intelligences artificielles, religions… tous ses thèmes de prédilection sont au rendez-vous.

L’année se termine avec la traduction de Le dernier magicien, de Megan Lindholm, alias Robin Hobb, pour Mnémos.

2004 : arrivé du premier vrai roman de Sylvie : Haute-Ecole, chez L’Atalante. Un gros pavé de fantasy : « Dans une société proche de celle de la France à la veille de la Révolution, le sort des magiciens n’intéresse que quelques intellectuels contestataires. Les enfants dotés de pouvoirs magiques sont enlevés à leurs familles afin d’être éduqués à la Haute-École et contrôlés par la noblesse ». (Info de presse).

Un gros pavé qui aura mis plusieurs années à mûrir et qui pourrait bien être un des évènements de cette année.

Et croyez-moi Sylvie Denis ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Il reste suffisamment de farine et de myrtilles pour préparer de nouvelles tartelettes (hum, je ne vous l’ai peut-être pas dit, mais c’est vraiment bon les tartelettes aux myrtilles).

Oups, je crois que j’ai oublié de parler des chats. Bon ce sera pour la prochaine fois. Car on ne peut pas parler de Sylvie sans dire quelques mots sur les chats.

En effet tous les jours Sylvie Denis passe de longs moments, dans des positions étranges, en conversations télépathiques avec tous les extra-terrestres déguisés en félins qui rôdent autour de chez elle. Mais ceci est une autre histoire…