DE QUELQUES APOCALYPSES DOUCES : CUT/UP

 

Markus LEICHT

 

 

 

William Burroughs lisait pour la troisième fois un court roman de Sturgeon. Peut-être "Some of your blood". Je ne suis plus sûr. De Burroughs non plus. Cela se passait il y a longtemps. Du côté de 1965, à moins que ce ne soit un peu plus vers le nord, du côté de 1966. Mais même de cela je ne suis plus certain. Peut-être en ce temps là 1965 dérivait-il vers d'autres lieux, vers d'autres temps. Tout ce dont je me souviens c'est que Kennedy nous avait quitté. L'Amérikkke essayait de sortir d'une longue nuit. Le rêve aux cinquante étoiles n'en finissait pas de mourir.

L'envoyé des étoiles venait juste d'arriver. Le président lui serrait la main. Flash ! Flash ! Flash !

Images mentales en 625 lignes.

Une musique métallique résonnait dans ma tête et - Flash ! - des journalistes s'agglutinaient autour du vaisseau inconnu venu de l'espace.

Moi, je me contentais de regarder, seul dans mon coin, tandis que William S. Cut/up découpait avec une mauvaise paire de ciseaux un texte peu connu de Théodore Sturgeon. Sur la dernière page du magazine, je m'en souviens très bien il y avait la petite fille de papier. Elle s'appelait Gina. Elle était italienne. Brune. Presque nue. Une culotte de dentelle. C'est tout ce dont je me rappelle. Je ne revois même pas les seins aux pointes roses. Mais peut-être cela n'a-t-il aucune importance. Seulement le rasoir.

D'autres, sans doute aussi William S., se souviendront sur la dernière page, des vêtements de la petite fille de papier. Il fallait les découper soigneusement et replier les onglet pour la vêtir.

L'envoyé des étoiles... Ce ne pouvait être qu'en 1965...

Le président souriait. Flash ! William cut/up Burroughs écrivait à Sturgeon.

Réglage de la stabilité horizontale.

Elle s'appelait Gina. La lame tranchante du rasoir découpait la culotte de papier.

Un peu de ton sang rougissait la dernière page du magazine. Et ma tête s'incendiait aux dérapages d'une musique d'Heiner Stadler. Cut/up.

L'envoyé des étoiles parlait dans ma tête. Il s'appelait Théodore S. Et je crois bien que sur sa planète il rêvait d'étranges histoires qu'il écrirait certainement un jour.

Entrelacement imperceptible des lignes horizontales.

Le magazine s'imprégnait lentement de mon sang. Cut/up. Lentement de ton sang. Cut/up. Avidement de nos sangs mêlés. Cut/up. Jusqu'à la dernière goutte.

Dans un coin de la pièce William S. dormait.

Un bout de 1965 dérivait vers 1992.

Sur une musique d'Heiner Stadler, à moins que ce ne fut un autre...

Fondu au noir.

Ou peut-être... Cut/up.

Avec un peu de ton sang. Sur la lame d'un rasoir.

A moins que ce ne fut 1966.

 

 

Markus Leicht 1997