INTERVIEW

SERGE MURER

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Serge Murer : C'est dur de répondre à des questions à un moment donné. Y'a tellement de contradictions. Ca dépend des jours, ce que je peux dire. Des jours je peux être plus cynique que d'autre...

 

-Serge, tu n'as aucune formation artistique ?

S.M. : Heu (silence). Ben non... C'est dur, je vais pas raconter ma vie, ça serait trop compliqué. Non, je n'ai pas de formation. Mais ça n'est pas un manque. Je préfère une formation adaptée à mes propres moyens. Je fais ce que je peux en suivant l'exemple des anciens. C'est vaste, il y a des milliers d'images... J'aime bien l'histoire de l'art, ma formation, c'est ça. Je vais plus chercher dans les bouquins que dans les expos. Il faut poursuivre les recherches dans la continuité, c'est un peu comme ça que je le vois.

J'ai toujours dessiné, plus ou moins, mais un moment il y a eut comme une révélation. Oui, je peux dire ça, j'ai eu une révélation et je me suis mis à bosser comme un fou. Ça s'est fait du jour au lendemain. J'ai réalisé que ce que je faisais n'était pas sérieux. Il fallait que je passe de l'autre côté. Bon, c'est sûr, derrière il y a aussi un gros orgueil, un besoin de reconnaissance, une volonté de sortir de ma classe, de laisser une trace, un nom...

Il y a des choses qui m'ont beaucoup influencé. Un rencontre d'amis, qui m'ont donné envie de laisser tomber mon travail pour me consacrer entièrement à ça. Et puis aussi, à l'origine, un bouquin de Munch. D'Edouard Munch. Je me suis senti vraiment proche. Ça m’a donné envie de faire de la peinture, du dessin, de la gravure, tout. J’ai découvert que ça faisait du bien d’exprimer sa misère.

 

-Je connais des gravures, des impressions, des sculptures, des dessins de toi, actuellement, tu fais de la peinture à l’huile...

S.M. : Ouais. Faut tout faire. Faudrait en faire le plus possible avant de disparaître, dans tous les domaines. Si j’avais plus le temps, je ferais bien de la musique, de la poésie... Les trucs les plus nobles que j’ai trouvé jusqu’ici, c’est la peinture à l’huile -l’huile, il n’y a rien de plus beau comme matériaux pour peindre- et la sculpture sur bois. C’est les deux choses vraiment valables. Le dessin, la gravure, c’est pas pareil. Comment dire ? Je cherche à faire du beau. C’est une forme d’alchimie. Il faut transformer notre misère en or, pour Lui. Ça compte presque pas de s’adresser aux humains et pour s’adresser à Dieu il faut le faire de la manière la plus belle possible, à mon avis. Déployer les plus beaux moyens pour lui c’est le meilleur moyen d’y accéder. Je ne sais pas comment dire ça...

 

-Les premières images que j’ai vu de toi, c’était des cadavres, des images mélancoliques...

S.M. : Oui, c’était ce que j’ai exposé à CENTRAL SERVICE, ma première expo. Je bossais à Carrefour à l’époque. J’étais pâtissier. Hey, oui... Y’a eut un sacré changement quand j’ai arrêté de bosser. J’ai pris plus mon temps. C’est devenu moins expressionniste, plus réfléchit. J’étais énervé à l’époque de ces images. J’ai réalisé qu’on avait qu’une vie et pas de temps à perdre à faire des conneries. J’avais le sentiment de mourir lentement. La mort, c’est le gros point d’interrogation. Mais c’est aussi une chose toute banale, ça fait partie de la vie...

La mélancolie, c’est un état que j’adore. C’est reposant.

 

-Tu abordes aussi souvent l’innocence perdue.

S.M. : Oui. Pourtant j’étais pas particulièrement malheureux gamin. C’est de la nostalgie de l’enfance, en fait, j’étais trop heureux... Souvent je me sens comme un enfant un peu trop conscient et ça me détruit.

Mes dernières peintures, c’est grave. « Babar » (qui me représente adossé à un mur, entouré de poupées cassées , portant un t-shirt pour enfant de 6 ans avec un motif Babar) me fait peur. Personne n'en voudra jamais. Je vais la cacher. Y’a des images comme ça... Ca me semble limite. C’est de l’autohumiliation... C’est de la dérision aussi mais c’est la part inconsciente qui me fait peur. Je crains le pire. (Rire). Bon, dans un travail artistique, on joue avec l’inconscient, c’est le but, mais c’est un exercice dangereux. Il faut pas trop traîner dans ces zones-là, sinon tu deviens fou. Il faut se préserver un minimum.

Je ne me sens pas fou, mais comme tout le monde, je sens qu’on peut basculer très facilement. L’art, c’est aussi un moyen de ne pas devenir dingue. Faut se sentir assez fort. Tout est permis.

 

-Tu te sens chrétien ?

S.M. : Ouais. Ouais. Je me sens chrétien. Je dois être chrétien... Je ne pratique pas mais j’y pense tout le temps. Je sens sa présence... Ou son absence... (Rire). Je n’ai pas été baptisé. C’est venu par mon frère, qui s’était converti et qui m’a causé de Dieu. Mais j’y vois différemment maintenant. Je me suis fait une autre idée de Dieu. Je trouve que mon frère se détourne de Dieu. Enfin bon, je vois ça autrement, c’est même plus la peine d’en parler.

Je ne peux pas bien parler de Dieu. C’est quelque chose que je sens, y’a rien d’intellectuel là-dedans. Intellectuellement, tu peux détruire Dieu facilement... Ça se passe franchement dans le coeur ces histoires, enfin comme tout, religion, psychanalyse...

 

-En 1993, tu as sorti un petit livre, AUTOPSIE.

S.M. : Hum. Oui. J’aime bien les livres. Les Graves Zines. AUTOPSIE, c’était un truc vraiment intimiste, un témoignage, le bilan de ce qu’on était pendant cette période. Impuissance, désespoir à l’état brut. J’ai fait les dessins et la maquette d’après les textes d’Amina. J’ai trié des bouts de textes et des poèmes pris dans son classeur, ou sa chemise, et puis j’ai recoupé ça avec des images et des dessins fait d’après mes sculptures.

J’ai un projet en ce moment. Je vais pas détailler, parce qu’avec les projets en cours c’est la folie, on n'arrête pas de vouloir en rajouter. Disons que ça sera un zine Catholique. Ça serait branché, ça ! (Rire). Un truc sur la rédemption. Rédemption. Rédemption...

 

-Depuis trois ans, tu vis retiré en Auvergne.

S.M. : Ouais. J’ai fuit la ville. Trop de drogues... (Rire). En fait, y’a de ça, c’est ça qui est grave... Bon, c’était aussi le besoin de m’isoler. Je travaille bien mieux ici, y’a que ça à faire. J’arrive à plonger dans mon univers sans qu’il y ait trop d’interférences.

Je ne montre pas souvent mes boulots, à part à mes amis. Si je n’avais pas d’amis, je les montrerai à personne. Je fais ça pour les Dieux, enfin pour Dieu, non, même pas, je sais pas, c’est parce que je suis à la campagne, j’aimerai bien les montrer en vérité. (Rire).

Je ne vois pas ce que la reconnaissance peut vouloir dire. La reconnaissance de qui, de quoi ? L’histoire de l’art, je m’en fous ! Enfin, je pourrais te dire carrément le contraire... C’est ça, les questions et les réponses, ça dépend des moments. Je dois avouer que ça me fait carrément fantasmer, l’idée d’être célèbre à ma mort ; après.

 

Enfin, tu préciseras que je te dis ça maintenant mais que ça pourrait être différent. Tout peut changer du jour au lendemain. C’est le doute. Le grand doute...

 

 

Réalisé par Lionel Tran le 01/01/97 à VALS-LE-CHASTEL