AMBRE
ENTRETIEN EN COURS
Ambre, ton style est à la fois hyper sensible et strict. Au premier abord, tes bandes dessinées ne rigolent pas. Dans la vie, tu es quelqu'un d'austère ?
Oui, je dois paraître austère. Mais je crois que c'est plus de la maladresse, de la gêne, qu'autre chose.
Et pourtant tu aimes rire. D'ailleurs, ton personnage Gilles Gabriel est franchement grotesque...
Oui. Le rire sauve tout et il m'est nécessaire pour avoir du recul. Il peut - et il doit - côtoyer l'exigence et le sérieux les plus inébranlables.
Gilles Gabriel est inspiré de quelqu'un que j'ai connu à Clermont-Ferrand. Mais là encore, la réalité est pire que tout. Je n'y suis pas allé franchement comme lui y allait. Et puis je n'ai pas pris en compte ses qualités humaines, j'ai seulement fait ressortir son incohérence. Bien sûr, je suis convaincu qu'en moi se tapit un Gilles Gabriel qui ne demande qu'à sortir.
Depuis quelques années tu t'es mis à la peinture à l'huile, mais tu fais de la bande dessinée depuis l'âge de 9 ans. C'est un langage qui t'es propre ?
Depuis l'âge de neuf ans ...tiens, je ne savais pas que c'était si précis. En tout cas je fais ça depuis longtemps. Et ce qui est drôle c'est que, très tôt, j'ai fait des recueils de mes récits. Je suis plus intéressé par le livre en général que par la bande dessinée. Je dois être un écrivain frustré, pour que je me sente obligé de mettre des images avec mes mots.
J'ajoute que je lis peu de bande dessinée, que c'est un langage qui ne me passionne pas outre mesure en tant que lecteur, mais qui m'intéresse en tant que créateur. Vois le paradoxe : je fais quelque chose que je n'aime pas en soit, j'aime seulement le fait de le faire. Non, en somme ce n'est pas un paradoxe, mais plutôt un déplacement du centre d'intérêt.
Tu lisais beaucoup, enfant ?
J'ai même l'impression de n'avoir fait que ça. En vacances, je lisais un livre par jour en moyenne. Beaucoup de Science-fiction et de fantastique, mais aussi des classiques. Cela va avec mon tempérament solitaire. Un des premiers récits que j'ai réalisé sérieusement a été inspiré par Julien Green. Il y avait aussi Strange, Métal Hurlant...
Maintenant, je lis moins - mais les livres restent quelque chose de primordial pour moi.
Tes récits s'ouvrent régulièrement sur des citations religieuses ou littéraires. C'est un tribut à tes sources d'inspiration ?
Oui, ça peut être un tribut. Une béquille, aussi, une manière de valider ce que je fais. Et puis ça me permet surtout de préciser un peu mon propos - de l'élargir, du moins, de le replacer dans un contexte culturel.
Je t'ai entendu plusieurs fois dire " ce qu'il manque à la bande dessinée, c'est un Proust ". Qu'entendais-tu par là ?
Aïe. Je ne voudrais pas paraître polémiquer.
Disons que je n'ai jamais lu de bande dessinée qui m'ait autant transporté qu'une peinture de Rembrandt, qu'une cantate de Bach ou que... La recherche du temps perdu de Marcel Proust, qui reste pour moi - avec La Passion selon Saint-Mathieu de Bach - un jalon dans ma vie " spirituelle, une oeuvre étalon à laquelle j'aspirerais sans doute une bonne partie de ma vie, une oeuvre cathédrale, un tout, quelque chose qui résume la culture d'une civilisation à un moment précis.
J'espère un jour ouvrir une bande dessinée qui me fasse un tel effet. Mais parfois je me dis que le médium est encore trop jeune.
Tes histoires sont empreintes d'une spiritualité intimiste, difficile à vivre. Tu as la Foi, ou tu la cherches ?
Parfois j'ai l'impression que j'ai la foi, parfois que je la cherche.
A quoi correspond pour toi le sentiment religieux ?
Question difficile. La religion est sans doute ce qui contrebalance notre raison, notre rapport matériel aux choses. C'est un garde-fou, une éthique. Un producteur de freins et de tabous, mais aussi de fanatisme et d'intolérance.
Personnellement, j'y cherche un ordre, une manière de voir le monde, un patrimoine, quelque chose de totalement inexplicable, aussi. Cela pourrait donner une petite histoire : un athée demande à un croyant pourquoi il croit, et celui-ci lui répond : " Je ne sais pas. C'est pourquoi je crois ".
Pas très clair, n'est-ce pas ?
Tes personnages sont des êtres rationnels et tristes, qui finissent par trouver leur rédemption dans l'amour. Etrangement, tu dessines très rarement des femmes, comme si elles étaient hors de portée...
Je n'ai pas envie de m'étendre sur des choses trop intimes. Bon, je dirais que je suis long à la détente et que mon appréhension de la vie, de l'amour, de l'autre...s'est faite plus tardivement que chez beaucoup d'autres personnes. Mais je crois qu'il ne faut pas tout mélanger. Je suis d'accord avec Proust quand il dit qu'il y a l'individu d'une part, et l'oeuvre d'autre part, et que l'un n'explique pas forcément l'autre.
Ta manière de travailler est très rigoureuse : tu prépares tes mises en page d'après des grilles, tes titres sont de véritables exercices typographiques, tu mélanges des pigments pour obtenir tes couleurs... Tu considères la facilité comme une faiblesse ?
Bien sûr. C'est peut-être mon côté con et réac : je pense que les vraies questions ne s'approchent qu'avec difficulté. Mais la faiblesse est humaine ; il est normal et sain d'y plonger dedans. Je dis ça parce je suis le premier à y plonger dedans.
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