LE JEU DES ENFANTS DE LA CITE FOLLE

MARKUS LEICHT

 

 

 

Chaque fois qu'Elisabeth, Michael, Clara et Paul jouaient, le ciel s'obscurcissait au point de devenir d'un noir de jais. Et il ne pouvait alors en être autrement puisque les enfants de la Cité Folle ne jouaient jamais lorsque le ciel était bleu, jaune ou rouge. Cela était formellement interdit par les chiens, gardiens du reve et de ses territoires. Elisabeth jouait rarement. Elle avait toujours peur.

Paul non plus ne jouait pas souvent. Les jeux ne l'intéressaient pas. Et puis il avait fort à faire pour rassurer Elisabeth qui se serrait toujours tout contre lui.

Michael et Clara n'étaient pas comme eux. Ils aimaient jouer. Ils aimaient les jeux. Ou plutôt ils aimaient un jeu. Le Jeu. Toujours le même. Et Elisabeth avait peur du Jeu.

Dès que le ciel devenait nuit les enfants entraient, l'un derrière l'autre, dans le jardin sans âme, bande de ténèbres coincé tout au bout du cimetière, et Clara s'asseyait sur l'herbe bleutée à l'étrange fluorescence, adossée au vieux chêne mort. Invariablement Michael la suivait. Il s'agenouillait devant elle et tirait de dessous son tricot de grosse laine blanche une longue aiguille d'acier. Tout comme si la personne qui avait tricoté ce pull l'avait oubliée dans les mailles de laine. C'est à ce moment précis qu'Elisabeth commençait à avoir vraiment peur.

Mais ni Michael, ni Clara, ne s'en rendaient compte.

Le garçon, doucement, avec des gestes lents et précis, enfonçait l'aiguille dans l'oeil droit de Clara puis il attendait jusqu'à ce qu'une goutte de sang apparaisse à la surface vitreuse de l'oeil. Alors, toujours avec la même lenteur, il retirait l'aiguille, prenant garde de ne blesser la fillette, et l'essuyait soigneusement sur un mouchoir blanc qu'il sortait d'une de ses poches.

L'espace d'une demi seconde, son regard croisait celui de Clara puis il enfonçait l'aiguille dans l'autre oeil. Encore une fois il attendait l'apparition de la tache rouge puis il retirait l'aiguille et l'essuyait de nouveau. Le jeu prenait fin sur ce geste, et pour manifester son plaisir Clara riait, riait à n'en plus finir et Elisabeth se blottissait un peu plus fort dans les bras de Paul en se bouchant les oreilles de ses mains.

Puis, le ciel virant au rouge, les enfants rentraient chez eux et les gardiens du rêve, refermaient la porte du jardin des ténèbres.

 

 

Markus LEICHT

 

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